Un Etat qui se respecte est un Etat respecté, producteur de sécurités individuelles et collectives. L’autoritarisme, fait de coercitions sur fond d’injustices, n’est pas l’autorité car il crée des révoltes donc des désordres. L’autorité vraie « oblige », au sens le plus noble d’une obligation librement consentie, sans avoir besoin de s’imposer par la force. L’autorité vraie suppose un pouvoir légitime et reconnu comme tel.
Autorité : le mot nous vient du latin où il signifiait augmenter, accroître, instituer et garantir dans la durée un espace commun dans lequel chacun se reconnaisse. Nous sommes passés, de l’Antiquité à nos jours, d’une autorité fondée sur la tradition, sur le passé, à une autorité fondée sur la transmission et tournée vers le futur. L’inverse du « no futur » : une promesse d’avenir à garantir dans le présent. Un désir d’avenir
L’autorité, la vraie, suppose la reconnaissance et la réciprocité. L’autorité, la vraie, est une force qui relie les uns aux autres et se porte garante du collectif, pas un ferment de division et de fragmentation sociale, pas un facteur d’irresponsabilité au sens où l’on ne « répond » plus de ses actes mais n’a qu’une obsession : durer, durer à tout prix dans l’accaparement d’un pouvoir privé d’autorité. Simone Weil, la grande philosophe qui choisit la condition ouvrière, a eu cette phrase très juste : « l’obéissance à une autorité qui n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar ». Ce cauchemar est aujourd’hui celui de la France dont les gouvernants agitent d’autant plus les instruments de leur pouvoir qu’ils sont dénués d’autorité.
La juste autorité à laquelle je crois n’est pas le retour en arrière vers un système périmé où les inégalités étaient légion. Elle est également aux antipodes de la table rase et du « il est interdit d’interdire ». Je sais que le mot autorité fait parfois froncer le sourcil à ceux qui le confondent avec des dérives autoritaristes et des tyrannies domestiques qui ne nous sont plus tolérables. Je le prends, moi, dans le beau sens que lui donne Hannah Arendt pour qui « la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité ».
Voilà pourquoi je ne crains pas d’en faire le fondement solide d’une politique de gauche clairement engagée du côté de l’égalité réelle et de la responsabilité mutuelle.
C’est le sens qui m’a guidée lorsque, Ministre de la Famille, j’ai fait voter la loi sur l’autorité parentale pour qu’elle soit partagée à égalité entre les deux parents et mieux à même d’assurer la protection et l’éducation des enfants, quelle que soit la forme de la famille ou l’évolution du couple. Les juristes appellent ça « une fonction d’ordre public » : cela signifie que, dès lors que la filiation est établie et l’autorité parentale conférée, on ne peut se dérober à sa responsabilité. L’autorité parentale est ce par quoi les parents sont reconnus par la société et se reconnaissent eux-mêmes comme « auteurs » de leurs enfants : pas au sens biologique mais au sens de ceux qui instituent l’enfant à sa juste place et qui, ayant hérité, transmettent à leur tour. Il leur revient d’assurer l’affection, la protection et les interdits structurants qui permettront à l’enfant, personne en devenir, d’accéder au monde commun et d’y créer, le moment venu, quelque chose de neuf. La pire des violences faites à un enfant, c’est la confusion des places dont l’inceste et la pédophilie sont les formes extrêmes mais dont les formes bénignes sont aujourd’hui très présentes dans notre société : des adultes parfois infantiles ou des adolescents poussés trop tôt vers l’âge adulte. Or, ce qu’une génération doit à l’autre, c’est la limite. La tâche des pouvoirs publics est d’aider les familles qui éprouvent des difficultés à assumer leur parentalité parce que leur histoire personnelle y fait obstacle ou parce que la paupérisation et la précarité voire les discriminations contribuent à les disqualifier et à ruiner leur autorité.
A l’école aussi, c’est de juste autorité qu’on a besoin. Ni de laxisme ni d’autoritarisme mais de missions clairement refondées, sans confusion des rôles, de règles justes qui s’imposent aux adultes comme aux élèves, de preuves données que l’échec scolaire n’est pas une fatalité, que le travail, l’effort, le mérite sont récompensés et chacun individuellement épaulé pour qu’aucun élève ne vive sa scolarité comme un ennui ou une souffrance, ce qui est le cas d’un grand nombre d’entre eux, au grand découragement d’enseignants qui se sentent souvent plus livrés à eux-mêmes qu’efficacement aidés. Cette autorité-là, appuyée sur un ordre scolaire vécu par tous comme juste, est la meilleure prévention des violences à l’école et des ressentiments qui explosent à l’improviste. Plutôt que des policiers dans les établissements et l’apprentissage à 14 ans, ce que j’ai constaté dans les collèges lorsque j’étais Ministre de l’Enseignement scolaire et que je constate aujourd’hui dans les lycées de ma région, c’est l’importance, pour réussir, d’équipes pédagogiques soudées et motivées, au clair sur leur projet et cohérentes dans leurs relations avec les élèves.
Les adolescents attendent des adultes des encouragements, des points d’appui et des cadres pour avancer, pour exprimer leurs talents et renforcer leur confiance en eux à un âge où cela ne va pas de soi. Les paroles qui blessent ou qui rabaissent détruisent l’estime de soi, l’humiliation ne réconcilie pas avec l’école. D’autant plus que les jeunes ne sont pas dupes de la relégation qu’ils subissent et de la ségrégation scolaire qui fonctionne, hélas, très bien avec la sectorisation. Cela a beaucoup pesé dans les émeutes de l’automne. La juste autorité telle que la conçois suppose de la tenue, de l’empathie, du respect.
L’Etat démissionnaire n’est pas celui auquel je crois. Tous ces désordres et toutes ces insécurités minent le moral des Français et leur foi en l’avenir. Il est possible de faire autrement. La France doit faire place aux générations suivantes et assurer cette transmission qui est la condition de leur liberté et de leur responsabilité ultérieures, de leur inscription dans l’histoire collective et de leur capacité à en inventer demain la suite.
Je crois, moi, possible et nécessaire d’aider les familles qui ont des difficultés à exercer leur métier de parents et de créer, notamment, un véritable service public de la petite enfance qui soulage les mères, allège la tâche des familles monoparentales et celle des femmes salariées, majoritairement abonnées aux petits salaires et aux contrats précaires.
Je crois, moi, possible et nécessaire de soutenir plus efficacement la réussite scolaire des enfants dont les conditions de vie sont les plus difficiles en logeant plus correctement leurs familles, en réduisant là où c’est utile le nombre d’enfants par classe de CP et de CE1 pour donner dès le départ le goût d’apprendre et les habitudes de travail qui permettront de suivre à l’école, en organisant des études gratuites après les cours où chacun pourra faire ses devoirs et apprendre ses leçons avant de rentrer chez lui, en mettant en place des internats-relais pour les élèves qui en ont besoin.
Je crois, moi, possible et nécessaire de créer en France, avec les partenaires sociaux et 50 ans après la Sécurité Sociale historiquement fondée sur les seuls droits des salariés, de nouveaux droits attachés à la personne, avec ou sans travail, qui sécurisent, tout au long de la vie, les parcours professionnels, offrent les formations nécessaires, permettent de se reconvertir et de rebondir quand on perd son emploi ou quand on veut tout simplement en changer, assurent aux salariés le filet de sécurité dont ils ont, dans le contexte actuel, tant besoin et aux entreprises, notamment celles exposées à la concurrence internationale, une souplesse qui ne débouche pas, pour celles et ceux qui travaillent, sur toujours plus de flexibilité subie et de précarité financière.
En guise de conclusion et parce que cette semaine de mai est, pour nous, l’occasion de nous souvenir de François Mitterrand, permettez-moi de vous dire deux ou trois choses qui m’ont particulièrement marquée durant toutes ces années où j’ai eu la chance de travailler à ses côtés. Elles éclairent, à mes yeux, sa conception exigeante de l’action politique qui reste, pour moi, un guide pour l’action.
François Mitterrand savait l’importance du temps long : celui de la lente sédimentation de l’histoire de France, qui nous a faits tels que nous sommes, et celui indispensable pour inscrire dans la durée une ambition transformatrice et fédératrice. Mais il avait aussi ce sens du moment où l’on peut accélérer l’histoire, ce sens de l’occasion qui surgit et qu’il faut empoigner car, a-t-il écrit, « le pouvoir véritable, c’est la décision qui fait l’événement ».
François Mitterrand savait les vertus de la ténacité, du cap gardé sur l’essentiel sans céder aux agitations conjoncturelles et superficielles. Dans le combat politique, il trempa ce trait de caractère qui fut, sa vie durant, une dimension du courage qu’il estimait nécessaire à l’exercice des plus hautes responsabilités. Il l’appliqua sans faiblesse dans un monde où, hier comme aujourd’hui, il faut une forte volonté politique pour ne pas céder aux forces de destruction qui fragmentent la Nation, écrasent les plus faibles, insécurisent les peuples et barrent tout espoir d’un avenir partagé
Cette leçon de courage, je me souviens qu’il avait voulu nous la donner lors du dernier Conseil des Ministres du gouvernement auquel j’appartenais. La route, nous avait-il dit, sera longue. Rien ne vous sera épargné. Soyez fidèles à vos convictions, restez à l’écoute des Français et n’oubliez jamais que la cause que nous servons est plus grande que nous.
Voilà de quoi, ce soir, je voulais vous parler parce que cela me tient à cœur et pour partager avec vous une réflexion à laquelle je vous invite à participer dans les semaines et les mois qui viennent, pour l’enrichir de vos idées et de vos expériences. J’ai besoin de vous et je vous remercie chaleureusement d’être là pour que nous construisions ensemble un beau désir d’avenir.
