04 Octobre 2006 : Journal de 20h, sur TF1.TF1
JOURNAL – Le 04/10/2006 – 20 :26
Ségolène Royal était l'invitée de Patrick POIVRE d'ARVORPatrick POIVRE d'ARVORNotre invitée ce soir c’est donc Ségolène ROYAL, vous voilà donc officiellement candidate à la candidature à la présidence de la République, si dans 6 semaines les socialistes vous désignent et si dans 6 mois les Français font de même, quelles sont les urgences auxquelles vous vous attèlerez en priorité ?
Ségolène ROYALIl y en a beaucoup des urgences. La première d’entre elles, je crois, c’est de retirer la France vers la haut, c'est-à-dire aujourd’hui il y a deux français sur trois qui se sentent tirés vers le bas et qui ne comprennent pas bien ce qui leur arrive, et qui attendent désespérément des actions, c'est-à-dire que l’Etat fonctionne bien, que la Nation soit bien redéfinie, par rapport à la façon dont nous vivons ensemble et dont nous tenons debout ensemble, avec le sentiment que les inégalités reculent, et donc c’est à ce chantier-là qu’il va falloir s’attaquer. Qu’est-ce que c’est que ce chantier pour que les Français se sentent à nouveau tirés vers le haut ? C’est d’abord que l’ensemble des institutions fonctionne bien et qu’on mette en place ce que j’appelle un ordre juste, c'est-à-dire…
Patrick POIVRE d'ARVORQu’est-ce qui ne fonctionne pas justement aujourd’hui ?
Ségolène ROYALCe qui ne fonctionne pas c’est par exemple la baisse du pouvoir d’achat, à un moment où au contraire il faudrait revaloriser le travail et faire en sorte que l’effort soit récompensé. Or, aujourd’hui, le gouvernement de la droite a érigé la précarité comme forme généralisée du contrat de travail, même si heureusement, grâce à l’action des jeunes, le CPE n’a pas été rendu possible, et moi je crois qu’une économie qui redémarre, une machine économique qui se débloque, c’est aussi un ordre économique juste, c'est-à-dire des salariés qui sont bien sécurisés dans leur travail, qui sont correctement payés, pour bien faire fonctionner leur famille, et donc c’est aussi d’autres institutions qui du coup fonctionnent mieux, en particulier l’école, puisque si les parents donnent l’exemple de l’effort au travail récompensé par un juste salaire, alors ils pourront dire à leurs enfants tous les matins : Il faut travailler dur à l’école. Et si l’école est bien remise debout, ce
qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque je lisais ce matin une enquête qui dit aujourd’hui qu’un élève sur deux part à l’école avec une certaine angoisse, et sans doute beaucoup d’enseignants, aussi.
Patrick POIVRE d'ARVORÇa a toujours été le cas. Quand on était jeune, c’était la même chose.
Ségolène ROYALOui, mais je crois que ça s’est dégradé, par rapport à la montée des violences, des agressivités, l’inquiétude sur l’échec scolaire, puisque les familles investissent énormément sur la réussite scolaire, beaucoup de jeunes aussi, qui ont des diplômes et
qui sont au chômage, donc là aussi il faut remettre de la cohérence, et c’est un chantier tout à fait essentiel.
Patrick POIVRE d'ARVORPuisque vous parlez de l’école, Claude ALLEGRE, qui fut votre ministre de tutelle quand vous avez été vous-même ministre, vous étiez ministre déléguée, a dit de vous, il y a à peine 15 jours, que vous n’aviez pas le niveau en gros, que vous ne seriez pas capable
d’être une bonne présidente de la République. Est-ce que vous pensez que c’est une réflexion machiste ou est-ce que vous comprenez que des interrogations se posent ?
Ségolène ROYALJe crois que c’est les Français qui en décideront, d’abord les militants socialistes, dans quelques semaines, et puis ensuite les Français. Je crois que la politique se prouve, elle ne se décrète pas. Je ne décrète pas moi-même que je suis ou que je ne suis pas au
niveau ou pas au niveau, je le prouverai, et mon intention c’est bien sûr d’abord d’obtenir la confiance des militants socialistes, de la mériter et ensuite de mériter la confiance des français, parce que le débat d’une élection présidentielle touche à l’essentiel, c'est-à-dire à la conviction que l’on va redonner à chacun, que la France mérite mieux que ce qu’elle a aujourd’hui et qu’il est possible de faire mieux fonctionner l’Etat, comme je le disais tout à l’heure, pourquoi, pour donner à chacun le sentiment qu’il peut maîtriser sa vie. Et aujourd’hui une des principales inégalités se joue entre les Français qui maîtrisent leur vie, qui savent que leurs enfants vont réussir à l’école, vont ensuite avoir un métier et un logement, et ceux qui ne sont pas assurés de transmettre à la génération future à la fois un métier et des valeurs, et c’est cette inégalité-là que les socialistes veulent réduire, c’est ce combat-là qui est prioritaire. Et il y a des solutions.
Patrick POIVRE d'ARVOREst-ce que vous vous sentez capable justement d’affronter toutes ces attaques personnelles qui, hélas, fleurissent toujours dans une campagne présidentielle ?
Ségolène ROYALMa conviction c’est que seule je ne peux rien, bien sûr ma volonté et mon courage sont grands, mais seule je ne peux rien, mais ce que je vois c’est que nous sommes de plus en plus nombreux, ce sont d’abord les militants socialistes qui me soutiennent, les élus, et puis ensuite il faudra rassembler une majorité de français, et quand je me déplace, quand je vais au contact des français pour les écouter, parce que je crois à la révolution démocratique, c'est-à-dire à changer la politique pour qu’elle soit plus efficace et en même temps plus modeste. Moi je ne suis pas candidate pour avoir le pouvoir, je suis candidate parce que je sais que je ferai quelque chose, avec ce pouvoir.
Patrick POIVRE d'ARVOREst-ce que vous mettez au niveau de ces attaques personnelles la polémique qui est née des révélations de votre frère Antoine, sur le rôle de votre autre frère Gérard, qui aurait, selon lui, posé la bombe qui a tué dans l’affaire du Rainbow Warrior ?
Ségolène ROYALC’est vrai que j’ai été étonnée de la recrudescence ou de la ressortie de cette information, de cette polémique, j’ai un frère qui il y a 20 ans était un soldat, un nageur de combats, pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, qui a été en effet engagé dans une action détestable, mais il avait reçu des ordres pour cela. On sait aujourd’hui, et heureusement, que les essais nucléaires sont arrêtés, qu’il y a eu manifestement malheureusement mort d’homme…
Patrick POIVRE d'ARVORIl vous en avait parlé sur le moment ?
Ségolène ROYALNon non, bien sûr, puisque dans les services concernés on garde le secret, c’est un grand service public avec ses règles et ces règles ont été respectées. Je peux même vous dire que l’ironie de l’histoire c’est que moi j’étais favorable à l’action de Greenpeace contre les essais nucléaires, et d’ailleurs l’histoire leur a donné raison, et donc il y a parfois en effet, quand l’Etat fonctionne mal, des ordres qui sont disproportionnés et lorsque ces ordres aboutissent à mort d’homme, et à mettre des soldats en danger, c’est tout à fait, en effet, regrettable, et il ne faudra pas que ça se reproduise.
Patrick POIVRE d'ARVORMais il ne vous a jamais rien confié sur sa mission, il ne vous a jamais dit ce qu’il avait fait ?
Ségolène ROYALNon, parce qu’il respectait les lois de son service.
Patrick POIVRE d'ARVOREt c’est la raison pour laquelle vous avez renoncé à un voyage dans le Pacifique Sud, justement pour protester contre ces essais nucléaires… ?
Ségolène ROYALAh non, pas du tout, ça, ça fait partie aussi des…
Patrick POIVRE d'ARVORD’une légende.
Ségolène ROYALD’une légende. Il y a beaucoup de légendes, vous savez, dans les campagnes, donc il faut à la fois garder le sens de l’humour, mais savoir aussi rétablir la vérité. Moi je suis une femme de vérité, de transparence, et donc tout peut être mis sur la table, mais lorsque les choses sont fantaisistes, il faut aussi savoir le dire.
Patrick POIVRE d'ARVORDans les questions qui sont posées régulièrement, il y a le rôle de votre compagnon, qui est premier secrétaire du Parti socialiste, qui a dit d’ailleurs il y a à peine deux jours qu’il y
avait une candidature qui incontestablement s’était installée dans le paysage politique, faisant allusion à la votre, est-ce que c’est un coup de pouce qu’il vous donne ? Est-ce que depuis le début, au fond, vous êtes de mèche, est-ce que vous êtes d’accord pour, finalement, porter cette candidature que l’on voit aujourd’hui émerger à ce point ?
Ségolène ROYALDe mèche, non, je récuse cette expression, je crois que l’échéance d’une élection présidentielle est une échéance majeure à laquelle les Français sont très très attentifs, il faut garder la dignité de la démarche. François a une responsabilité à la tête du
Parti socialiste, et d’ailleurs si nous sommes aujourd’hui en ordre de marche, si le projet a été adopté, si les socialistes sont rassemblées, c’est grâce à lui, il faut très clairement le dire, et les militants le savent, et aujourd’hui il a choisi, il a bien fait de le faire, de rester impartial à la tête de l’organisation politique, parce que sinon les autres le lui reprocheraient, donc ce n’est pas la peine de mettre des zizanies en plus, il y en a suffisamment.
Patrick POIVRE d'ARVORJe me doute, mais je vais vous poser une question, alors là qui n’est pas d’ordre privé, mais qu’est-ce qu’il va faire si un jour vous devenez président de la République ? Ça c’est une question que les gens se posent. Est-ce qu’il peut rester premier secrétaire ? Il peut devenir votre Premier ministre ou un ministre dans votre gouvernement ?
Ségolène ROYALEcoutez, les règles de la morale politique s’appliquent à tous, quels que soient les liens de famille. La morale politique c’est quoi ? c’est que chacun doit donner le meilleur de lui-même dans les compétences qui sont les siennes, et cette règle-là s’appliquera à tous. Il n’y a ni passe-droit, mais ni exclusion, en fonction des compétences et des engagements de chacun. Il n’y a pas de place à distribuer. Je me suis refusée, vous le savez, à négocier quoi que ce soit, avec qui que ce soit, dans les soutiens qui viennent vers moi, parce que je pense que les responsables politiques que nous sommes, à un moment où il y a une crise politique grave, et même une crise morale grave, dans le pays, c’est d’abord d’être au service du pays, et pas l’inverse.
Patrick POIVRE d'ARVORVous avez déjà remporté un prix, puisque hier vous avez remporté le prix de l’humour politique du Press Club, avec cette phrase, “ même quand je ne dis rien, ça fait du bruit. ” Est-ce que vous comprenez pourquoi vous attirez à ce point la lumière, les regards, depuis quelque temps ? D’où est venue cette cristallisation ?
Ségolène ROYALJe veux penser que c’est grâce à ma liberté de parole, et ma volonté de regarder la vie et la réalité telle qu’elle est, et non pas telle que nous voudrions qu’elle soit, et donc je crois avoir compris un certain nombre de choses, par rapport à la soif des français de participer aux décisions qui les concernent, ce que j’appelle la démocratie participative, d’avoir envie, d’avoir la certitude que les responsables politiques ont fait le bon diagnostic sur ce qu’ils vivent, et ce que diagnostic, je vous l’ai dit tout à l’heure, c’est que les Français en ont assez de se sentir tirés vers le bas et d’avoir une incertitude sur ce qu’ils vont transmettre à la génération future, et donc il faut leur redonner cette sécurité de la transmission, et ça je pense qu’il y a des solutions et que nous avons un devoir d’imagination et d’invention pour répondre à ça.
Patrick POIVRE d'ARVORJe vous remercie beaucoup Ségolène ROYAL d’être venue répondre à nos questions.
Sources : http://www.desirsdavenir.org